Cinq ans. Mais le temps n’a ici aucune importance. C’est là qu’a commencé ma pratique du Continuum avec Linda Rabin. Je n’ai jamais rien écrit à ce sujet. Pas la moindre annotation. Aucun feuillet. Sauf des mots imparfaits pour tenter d’exprimer maladroitement ce que cette pratique révèle de l’invisible de nos vies.
Le Continuum est une démarche d’exploration. Une espèce trop rare d’intranquillité paisible dans laquelle la recherche est continue et se loge au sein même d’une recherche plus générale et de techniques qui sont en transformations constantes. Pas de paradigmes ou de certitudes donc, mais plutôt la quête infinie d’une plongée en soi et dans la multitude de ces choses que nos sociétés nous éduquent à méconnaître : ce qui nous constitue au plus profond de nous, tissus, liquides, vibrations, souffle, cellules, mais aussi ce qui nous entoure et vis-à-vis desquels, sans le savoir bien souvent, nous résonnons et vibrons.
J’ai débuté cette pratique à un moment de ma vie et dans des conditions bien particulières. Mais les conjectures de nos vies ne sont-elles pas toujours singulières ? Là aussi, et avec le recul, il s’agit d’un fait sans importance. Je me souviens toutefois que ma première découverte, en moi, permise par cette pratique est celle d’une lumière et d’un mouvement. Deux entités inextricables. D’un côté, une toute petite lumière, très intense, dans ce qui était à l’époque un trou noir opaque, et de l’autre un mouvement, assez lent, de mon corps qui se dépose au sol et qui crée, comme le ressac des vagues de la mer, un tournoiement intérieur. Un mouvement doux, très doux, que j’ai rapidement associé au vivant.
D’une séance à l’autre, je chéris cette pratique qui n’est jamais répétitive et qui ne contraint finalement à rien. Il s’agit au contraire de créer les conditions idéales pour que chacun explore sa propre voie. Nos portes intérieures s’ouvrent ou restent closes. Les couloirs empruntés peuvent nous emmener, ou non, dans une infinité de sphères, et s’ils s’ouvrent, ils peuvent aussi se refermer rapidement pour nous mener ailleurs – ou parfois nulle part. Mon expérience personnelle m’a éveillé à ces choses qui n’ont pas de noms mais que j’ai toujours ressenties, y compris lorsqu’il est parfois difficile de les accueillir, comme quelque chose de lumineux. Cette lumière-là est aussi faite de rayonnements, mais elle est intérieure et s’exprime comme un mouvement.
Cette liberté d’exploration me permet d’aller spontanément vers cet espace qui compte le plus pour moi : la forêt. Bien que malmenée, la forêt reste un haut lieu du vivant. La symbiose entre les arbres, l’eau, la terre, les rayons du soleil, le vent et la multitude d’animaux qui y vivent m’ont beaucoup appris sur moi-même. Chaque pratique me ramène naturellement vers ces éléments qui me sont familiers. Parfois, c’est dans la brume qui recouvre les lacs au lever du jour. À d’autres moments, c’est dans les petits filets d’eau qui coulent à travers les sols, loin des sentiers, et qui finissent par constituer des ruisseaux. Je me roule dans la terre et m’y enracine. Je suis un arbre. Je suis le vent. Je suis une rivière.
Je suis d’une infinie reconnaissance à Linda Rabin de nous permettre de vivre ça. Sa recherche personnelle est continue et constitue le substrat de ses cours : une exploration dans l’exploration dont nous bénéficions. Parce que cette trajectoire d’exploration n’est pas à sens unique mais qu’elle vise au contraire à ce que chacun d’entre nous puisse trouver sa propre voie, singulière, elle constitue d’abord, de la part de Linda, une leçon d’une ultime générosité. Celle qui ne consiste pas seulement à donner mais aussi de permettre à l’autre d’Être dans sa singularité. En cela, le Continuum m’a d’abord appris cet être à l’autre à travers cette figure grandiose que j’associe à la beauté.
Aujourd’hui, j’étais dans cette séance du jeudi matin une graine. Celle qui roule sur elle-même, sans doute transportée par l’eau et par le vent. Je n’étais qu’une minuscule racine qui tente de se créer un chemin, attirée par le sol. J’étais aussi tour à tour tiges, feuilles et branches qui volent au vent et se baignent de lumière. Tiré vers le bas et vers haut, à gauche et à droite, cette petite plante là vivait sa propre vie. Une autre graine, semblable à la première, s’est mise à pousser juste à côté. Elle a grandi en s’enroulant autour de la première et ces deux vies-là n’en formaient plus qu’une, comme le mouvement et la lumière sont indissociables.
En écrivant ceci, je ne sais pas si s’achève pour moi, après 5 années, le premier chapitre de mon grand livre sans mots du Continuum, ou s’il s’agit des premières lignes d’une introduction à un récit où tout reste encore à parcourir. Ça aussi, il s’agit d’une conjecture mineure.